L’auteur de ce livre est un québécois, un Canadien français, un colonisé, un prolétaire et un baptisé, par conséquent un être extrêmement frustré pour qui la liberté n’est pas une question métaphysique mais un problème très concret.1Pierre Vallières, Nègres blancs d’Amérique, (Montréal: Parti pris, 1968; imprimé, Montréal: Typo, 1994), 51.

Je n’ai d’autre prétention, en écrivant ce livre, que de témoigner de la détermination des travailleurs du Québec de mettre un terme à trois siècles d’exploitation, d’injustices silencieusement subies, de sacrifices inutilement consentis, d’insécurité résignée; de témoigner de leur détermination nouvelle, et de plus en plus énergique, de prendre le contrôle de leurs affaires économiques, politiques et sociales, et de transformer en une société plus juste et plus fraternelle ce pays, le Québec, qui est le leur, dont ils ont toujours formé l’immense majorité des citoyens et des producteurs de la richesse « nationale » sans jamais, pourtant, bénéficier du pouvoir économique et de la liberté politique et sociale auxquels leur nombre et leur travail leur donnent droit.2Ibid., 55.

C’est devenu un ensemble de lieux communs de dire que le Québec est une colonie, une sous-colonie, une sous-sous-colonie, une triple colonie, etc. La dépendance du Québec à l’égard de l’étranger est une constante de son histoire. Son développement économique, social et politique, constamment subordonné à des intérêts financiers étrangers, n’a jamais connu d’évolution indépendante. Car le Québec, depuis l’établissement d’un comptoir commercial à Québec par Champlain en 1608, a toujours été soumis aux intérêts des classes dominantes des pays impérialistes: d’abord, la France; puis l’Angleterre; et, aujourd’hui, les États-Unis.3Ibid., 404.

La Confédération de 1867 institutionnalisa la domination des milieux d’affaires sur l’ensemble de la vie économique, politique et sociale canadienne from coast to coast. Nous connaissons, aujourd’hui, les véritables motifs qui guidèrent les Pères de la Confédération et les dessous économiques des discours sentimentaux sur l’unité des deux «rates fondatrices» du Canada. La Confédération canadienne n’a été rien de plus qu’une vaste transaction financière opérée par la bourgeoisie sur le dos des travailleurs du pays, et plus particulièrement des travailleurs du Québec.4Ibid., 74-75.

La Confédération canadienne est à l’article de là mort au moment même où elle commence à célébrer son centenaire en s’efforçant de croire à sa survie, comme un cancéreux à demi inconscient refuse de faire son testament et s’obstine à nier la mort qui le dévore.5Ibid., 93.

La vraie raison de l’insécurité ouvrière, ce n’est pas l’insuffisance des salaires, la rareté des emplois ou l’ignorance, c’est essentiellement l’absence de contrôle sur la politique économique et sociale. C’est ce que les travailleurs du Québec doivent bien se mettre dans la tête, comme on dit familièrement. Car autrement ils demeureront encore, pendant des générations, « les nègres blancs d’Amérique », la main-d’œuvre à bon marché qu’affectionnent les rapaces de l’industrie, du commerce et de la haute finance, comme des loups affectionnent les moutons.6Ibid., 58.

Être un « nègre », ce n’est pas être un homme en Amérique, mais être l’esclave de quelqu’un. Pour le riche Blanc de l’Amérique yankee, le « nègre » est un sous-homme. Même les pauvres Blancs considèrent le « nègre » comme inférieur à eux. Ils disent :« travailler dur comme un nègre », « sentir mauvais comme un nègre », « être dangereux comme un nègre », « être ignorant comme un nègre »… Très souvent, ils ne se doutent même pas qu’ils sont, eux aussi, des nègres, des esclaves, des « nègres blancs ». Le racisme blanc leur cache la réalité, en leur donnant l’occasion de mépriser un inférieur, de l’écraser mentalement, ou de le prendre en pitié. Mais les pauvres blancs qui méprisent ainsi le Noir sont double-ment nègres, car ils sont victimes d’une aliénation de plus, le racisme, qui, loin de les libérer, les emprisonne dans un filet de haines ou les paralyse dans la peur d’avoir un jour à affronter le noir dans une guerre civile.

Au Québec, les Canadiens français ne connaissent pas ce racisme irrationnel qui a causé tant de tort aux travailleurs blancs et aux travailleurs noirs des Etats-Unis. Ils n’ont aucun mérite à cela, puisqu’il n’y a pas, au Québec, de « problème noir ». La lutte delibération entreprise par les Noirs américains n’en suscite pas moins un intérêt croissant parmi la population canadienne-française, carles travailleurs du Québec ont conscience de leur condition de nègres, d’exploités, de citoyens de seconde classe. Ne sont-ils pas, depuis l’établissement de la Nouvelle-France, au XVII siècle, les valets des impérialistes, les « nègres blancs d’Amérique » ? N’ont-ils pas, tout comme les Noirs américains, été importés pour servir demain-d’œuvre à bon marché dans le Nouveau Monde? Ce qui les différencie: uniquement la couleur de la peau et le continent d’origine. Après trois siècles, leur condition est demeurée la même. Ils constituent toujours un réservoir de main-d’œuvre à bon marché que les détenteurs de capitaux ont toute liberté de faire travailler ou de réduire au chômage, au gré de leurs intérêts financiers, qu’ils ont toute liberté de mal payer, de maltraiter et de fouler aux pieds, qu’ils ont toute liberté, selon la loi, de faire matraquer par la police et emprisonner par les juges « dans l’intérêt public », quand leurs profits semblent en danger.7Ibid., 61-62.

Une vie de nègre n’est pas une vie. Et tous les Québécois étaient (et sont) des nègres.8Ibid., 237.

Le nationalisme noir — comme le séparatisme canadien-français — rend un service inestimable aux révolutionnaires en les forçant à envisager la libération de l’homme total et en leur évitant d’être pris au piège des demi-révolutions qui, aussitôt victorieuses, se muent en oppression des minorités raciales, linguistiques, religieuses ou autres.9Ibid., 112.

[L]a liberté et la paix, dans ce monde d’argent, de violence et d’oppression, ne peuvent se conquérir que par la force du nombre et des armes. Ils ont déjà le nombre. Les armes viendront en leur temps… le jour où ils seront suffisamment unis, pour constituer l’armée invincible de leur propre libération et de la libération des millions d’hommes qui, dans les cinq continents, sont actuellement asservis aux intérêts du monde libre. Car les nègres d’Amérique sont solidaires des nègres du monde entier. Solidaires dans la servitude. Solidaires dans la lutte de libération. Solidaires éventuellement dans l’assaut final contre l’impérialisme et dans la victoire définitive de l’humain ‘sur l’inhumain. Solidaires dans cette révolution de l’homme par l’homme, dans grandiose événement qui qui balayera toute la pourriture du vieux système et rendra l’humanité, c’est-à-dire tous les hommes et toutes les femmes, apte à commencer une nouvelle histoire; sans maîtres ni esclaves, sans guerres ni racismes, sans banques ni voleurs.10Ibid., 113.

Une telle révolution ne va pas sans guerre, sans violence. Car l’ordre établi voudra jusqu’à la fin l’écraser dans le sang.11Ibid., 283.

Pour ma part, je crois que la societé capitaliste ne peut qu’être renversée. Elle ne peut pas dépérir d’elle-même, pas plus que la classe bourgeoisie ne peut se suicider.12Ibid., 418.

Nous sommes écoeurés d’être, depuis trois cent cinquante ans, l’objet de marchandages entre capitalistes autochtones et étrangers. Cette fois, nous exigeons tout, l’indépendance et le pouvoir économique inclus. Et si nous devons, pour cela, affronter les Marines de LBJ les armes à la main, eh bien! nous prendrons les armes contre les Marines, nous suivrons l’exemple du peuple vietnamien. Vous serez bien alors obligés de descendre dans la rue avec nous et de nous suivre… ou bien d’aller chercher refuge, réconfort et B-52 à Washington, comme le fait le général Ky et sa clique de vendus. Comme l’ont fait, avant eux, plusieurs cliques de vendus. Comme, demain vous le ferez peut-être vous-mêmes; vous qui, aujourd’hui, réclamez égalité ou indépendance.13Ibid., 409.

La violence spontanée et de plus en plus féroce du peuple, en particulier des cultivateurs, des ouvriers et des jeunes, est la réponse qu’appelle (et qu’obtient) la violence systématiquement pratiquée, depuis des siècles, par les classes dirigeantes minoritaires.14Ibid., 388.

Les révolutionnaires, au contraire, organisent la violence populaire en une force consciente et indépendante.15Ibid., 390.

[L]e FLQ n’est pas un mouvement terroriste.16Ibid., 402.

Je n’ai aucune objection à ce que, tous ensemble, nous disions merde à Ottawa. Car nous n’avons que faire de son encombrant paternalisme, qui, d’ailleurs, nous coûte assez cher en taxes et contribue à brouiller les cartes. Bon. Disons merdè à Ottawa. Et ensuite? Qu’est-ce qui va changer? Une seule formule d’impôts au lieu de deux? Une ligne téléphonique directe Québéc-Washington? Une armée d’opérette intégrée à NORAD? Un délégué à l’ONU, un à l’OEA, un troisième à I’OTAN et un ambassadeur bien à nous au Vatican? Et après? Le fer de la Côte-Nord, l’amiante d’Asbestos, les mines de l’Abitibi, nos forêts et nos ressources hydrauliques, le commerce, la finance, l’industrie… et les machines électorales: tout cela ne sera-t-il pas encore propriété exclusive des Américains? Alors qu’est-ce que la majorité de la population du Québec risque de gagner à cette indépendance de papier, à part une aliénation politique supplémentaire et, vraisemblablement, une plus grande mesure encore d’asservissement économique?

Comprenez-moi bien: je ne suis pas contre l’indépendance du Québec, mais contre l’illusoire indépendance du Québec que ·nous propose actuellement, habillée de diverses formules (de l’Etat associé à la République), la petite bourgeoisie parasitaire du Canada français. Et c’est pourquoi je suis pour la révolution, car seule une révolution en profondeur peut nous rendre indépendants. Ce n’est pas là une question d’idéologie mais de fait… Il faut se boucher volontairement les yeux et l’esprit pour faire semblant de ne pas s’en rendre compte.17Ibid., 408.

À cette économie fondée sur l’exploitation de la majorité des hommes, nous voulons substituer non seulement une économie nouvelle mais une société nouvelle dans laquelle l’actuelle catégorie «économie» ne trouversa pas le contenu qu’elle possède actuellement, une société dans laquelle les producteurs (les travailleurs) seront les propriétaires et les administrateurs collecifs de leurs moyen de production, les créateurs, les organisateurs et les planificateurs de leurs rapports de production et de la circulation de leurs produits, selon une finalité qu’ils choisiront eux-mêmes, pour la satisfaction de leurs besoins véritables, dans l’égalité absolute des droits, des opportunités et des bénéfices.18Ibid., 412.

Cette révolution dont le Québec a besoin, comme tous les pays asservis au capitalisme et à l’impérialisme colonisateur lui-même, ce qui veut dire des transformations encore plus profondes que celles qu’exige la nationalisation du capital étranger. Il s’agit en fait d’abolir le capital lui-même, base de la société actuelle.19Ibid., 410.

Une société sans classe, par conséquent, et, aussitôt que possible, sans État.20Ibid., 413.

Et votre Utopie, au début, vous fait prendre en pitié par les uns, ridiculiser par les autres, regarder comme une espèce de mystique sans dieu par la majorité! On a tôt fait de vous bâtir une réputation de rêveur… de gars sincère mais idéaliste. Si, par-dessus le marché, vous avez l’intention de passer à l’action, alors là vous devenez ipso facto un communiste, un anarchiste, un homme irresponsable et dangereux que la société a intérêt à enfermer, au plus tôt, dans une prison ou un asile d’aliénés. Tant que vous ne faites que prêcher votre utopie, l’ordre établi se contente d’enregistrer, avec mépris ou indifférence, votre dissidence. Mais dès que vous vous mettez à agir, le vieux système se dépêche de faire de vous un danger public et un criminel afin de pouvoir vous enterrer vivant avant que votre idéalisme n’ait armé de cocktail Molotov, de dynamite et de fusils les travailleurs et les jeunes qui sont très perméables à l’Utopie, qui n’attendent que cela pour se soulever en masse contre les organisateurs, les profiteurs et les défenseurs de l’oppression. Car l’Utopie, quoi qu’en disent les idéologues du capitalisme, du néo-capitalisme et de l’impérialisme, n’est pas une utopie de philosophe: elle résume des aspirations qui demandent non seulement à être perçues et comprises, mais avant tout à être réalisées. L’utopie n’est pas non plus le point final, le terminus de l’évolution humaine. Au contraire. Elle n’est que le point de départ, le commencement, le premier stade de l’histoire nouvelle que les hommes entreprendront ensemble, une fois libérés de leur présente condition de nègres, de sous-hommes.21Ibid., 133-134.

Bref, une utopie est nécessaire à l’émergence d’une conscience de classe et d’une action révolutionnaire collective. Cette utopie n’est pas une révélation divine mais le produit matériel théorique de besoins humains ressentis par des hommes dont l’une des caractéristiques les plus fondamentales est cet ESPOIR, cette VOLONTÉ du plus, du progrès, d’une toujours plus grande mesure de bonheur, de créativité et de joie.22Ibid., 434.

L’habitude de l’humiliation et du travail forcé (du travail pour subsister) rend fataliste, passif, sceptique. On est tenté de se dire que «tous ces rêves-là ne font que nous rendre encore plus malheureux et ne changent rien. Et puis, n’est-il pas dans l’Ordre qui’il y ait des gens plus intelligents que d’autres, plus travaillants, plus économes, moins ivrognes, moins paresseux, et qui réussissent plus facilement parce qu’ils sont plus capables, plus sobres, plus instruits… plus riches aussi, il faut bien l’avouer.23Ibid., 123-124.

Je ne peux vivre ma vie sans travailler à faire la révolution et il m’apparait que c’est un peu la même chose pour vous. Il ne s’agit pas de jouer aux héros — qui le peut, d’ailleurs, à l’ère de la bombe atomique et de la guerre atroce du Viêt-nam? — mais de nous mettre ensemble pour bâtir un monde neuf où let hommes ordinaires, comme vous et moi, auront cessé d’être les nègres des millionnaires, des fauteurs de guerre et des prédicateurs de la passivité, pour devenir enfin libres de soumettre le monde à leurs caprices: l’amour, la curiosité scientifique, la création… dans la solidarité et l’égalité, dans la modestie et la fierté.24Ibid., 436-437.

Une conscience de classe se développe en dépit de la longue histoire de haines insensées qui a considérablement affaibli le mouvement de revendications des travailleurs américains depuis trente ans. Le racisme cède peu à peu, bien que difficilement, la place à la solidarité.25Ibid., 111.

La prise de conscience de l’injustice érigée en système appelle une action· révolutionnaire, des changements radicaux dans les rapports de production et de propriété et dans les rapports sociaux, en général. Mais cette action ne peut surgir automatiquement de la seule conscience de l’injustice. Il faut qu’elle soit organisée — intellectuellement, moralement, politiquement et militairement — en une force réellement révolutionnaire, c’est-à-dire à la fois, efficace militairement, désaliénante psychologiquement, intellectuellement et économiquement, démocratique et fondée, moralement sur la soldarité, l’égalité, la justice et l’honnêteté.26Ibid., 383.

]’ai été plus fortement impressionné par la pensée de Mao Tsê-tung et les idées de Guevara que par l’oeuvre de Lénine. Il faut dire que l’évolution de l’Union soviétique, de l’Internationale et du communisme occidental oblige à remettre en question plusieurs des thèses léninistes, car je ne crois pas qu’il faille considérer que seul Staline est responsable de cette évolution malheureuse.27Ibid., 371.

[I]l a fait aujourd’hui ses preuves et, décidément, il apparaît, après cinquante ans d’histoire soviétique, que les Russes ont fait, à partir des insurrections populaires de 1917, une révolution bourgeoisie.28Ibid., 416.

L’URSS [deviendra] la puissance impérialiste numéro un de l’an 1980 et la clique des Brejnev-Kossyguine, les Rockfeller de l’an 2000!29Ibid., 415-416.

Et cela même après les révolutions russe, chinoise, vietnamienne et cubaine, car nous savons tous que ces révolutions ne sont encore que les premiers balbutiements.30Ibid., 134.

Pouvez-vous m’expliquer […] comment il se fait qu’il y ait tant de tavernes à Montréal et tant d’ivorgnes dedans? Pouvez-vous m’expliquer pourquoi on y rencontre surtout des ouvriers, des pas intruits et des chômeurs? Et pourquoi ces tavernes sont plus nombreuses dans l’Est français qui dans l’Ouest anglais?31Ibid., 124-125.

Montréal, la ville de l’ennui et de la stupidité32Ibid., 249.

Ce qu’il y a de terrible dans la famille ouvrière, c’est la fonction que le système actuel lui impose de renouveler et de perpétuer les esclaves, les nègres, le cheap labor exploité, aliené, opprimé. Et ce qu’il y a d’inhumain dans l’enfance ouvrière, c’est cette impuissance où se trouve placé l’enfant à résister aux conditionnements non seulement du système lui-même mais de toutes ces frustrations vécues autour de lui, frustrations engendrées par l’organisation capitaliste de la société et qui le contaminent avant même qu’il ait pu prendre conscience de leur existence.33Ibid., 152-153.

Dieu, s’il existe, n’est sûrement pas de notre bord, du côté de la majorité du genre humain; il n’est sûrement pas du côté du peuple… mais plutôt au sein même du napalm dont les Américains arrosent le Viêt-nam innocent et «libre»… Dieu, ne l’oublions pas, est une invention des dynasties, des aristocrates des cinq continents; cette invention a commencé de hanter l’esprit des hommes dès l’apparition sur terre du premier chef de tribu qui eut besoin de créer un “droit divin” pour conserver son rang, ses privilèges et sa puissance. Que d’hommes massacrés, que de peuples écrasés, au nom du Seigneur Dieu des chrétiens, des musulmans, des hindous, et des bouddhistes! Au moment où vous lisez ces lignes, le Dieu de Paul VI et de Lyndon B. Johnson se promène en B-52 au-dessus de l’Asie, de l’Afrique, de l’Europe et des deux Amériques. Dieu de l’âge atomique, Dieu qui s’acharne à vaincre le communisme sur la terre avec ses apôtres, les Marines! Ce n’est plus comme au temps de Jésus-Christ où les premiers disciples donnaient leurs biens aux pauvres et où le Christ lui-même chassait les exploiteurs à coups de fouet!)34Ibid., 261-262.

«Bienheureux les pauvres, car le Royaume de Dieu leur appartient». La religion de l’abrutissement, du cercle vicieux, du sacrifice permanent et de la résignation au malheur devint «l’Imitation de Jésus-Christ».35Ibid., 79.

Tuons Saint Jean-Baptiste! Brûlons le carton-pâte des traditions avec lequel on a voulu mythifier notre esclavage. Apprenons l’orgueil d’être hommes. Affirmons fortement notre indépendance. Et écrasons de notre liberté robuste le paternalisme compatissant ou méprisant des politiciens, des papas-patrons et des prédicateurs de défaites et de soumissions…36Ibid., 58.

Seuls les prêtres s’imaginent que l’amour peut s’accommoder de la misère, de l’abrutissement quotidien, de l’ignorance crasse des lois et des beautés de la sexualité, du jansénisme et de la dictature du capitalisme.37Ibid., 152.

C’est tout juste si la Sainte Vierge n’apparut pas à quelque enfant, comme au Portugal, pour nous supplier d’obéir aux continuateurs du schizophrène Mgr de Laval, qui au XVIIe siècle, avait jeté les fondements de cet univers d’asile d’aliénés.38Ibid., 89.

Certes, les églises se remplissent encore de fidèles, le dimanche, et la plupart des gens croient en Dieu. Mais les Québécois sont, écoeurés de leurs prêtres en pantouffles qui mènent une existence de millionnaires dans leurs presbytères cossus et qui boivent du scotch avec l’argent des pauvres. Quant aux jeunes, non seulement ils sont anticléricaux, mais la majorité d’entre eux refusent d’aller contempler, le dimanche, des simagrées d’un autre âge, auxquêls ils ne comprennent rien et de payer pour ce spectacle, ne fût-ce que vingt-cinq cents. Croient-ils en Dieu, en Jésus-Christ, en Mahomet ou en Bouddha? Je l’ignore. Mais j’ai l’impression qu’ils croient d’abord en eux-mêmes et en l’humanité, et qu’ils ne sont pas prêts, comme leurs parents, à sacrifier leur vie terrestre pour un hypothétique bonheur céleste.39Ibid., 91-92.

Au fond de moi-même, je méprisais cette vie, car là la pleine égalité des volontés personelles des individus existait dans la mesure même où ces volontés ne voulaient rien, selon l’expression très juste d’Engels, mais obéissaient comme les moutons broutent leur herbe sans se poser de questions, parce que Dieu l’a voulu ainsi. Voilà la liberté pratique de ceux qu’a touchés la grâce de Dieu: la liberté de brouter de l’herbe sans grogner. Heureusement, Dieu épargne de sa grâce un nombre croissant de Québécois. C’est pourquoi le Québec a cessé d’être une colonie tranquille de Washington et du Vatican. Dieu et son ciel se meurent dans les esprits québécois qui se sont, enfin, réveillés des pieux rêves de leur enfance. L’obéissance stupide, la servitude sanctifiée ont cessé d’être des vertus. Elles deviennent ce qu’elles ont toujours été: des non-sens, des charmes qu’il faut briser. La décolonisation politique et économique du Québec s’accompange de la désaliénation des Québécois. L’Église fera moins d’argent, mais le peuple sera libre.40Ibid., 287-288.

L’Église est la sorcière de Dieu et je souhaite que les Québécois de l’avenir apprennent à s’en passer comme les enfants d’aujourd’hui ont cessé de croire au Bonhomme Sept Heures pour s’intéresser aux aventures réelles des astronautes.41Ibid., 293.

Les conciles me font penser aux débats parlementaires des pseudo-représentants du peuple: ils finisent toujours par ratifier de petites combines savamment élaborées dans le but de faire croire au progès, mais ne proposent jamais de changements radicaux. Qu’est-ce que le peuple gagnera à prier en français plutôt qu’en latin? Cela fera-t-il diminuer le coût de la vie? Cela changera-t-il quelque chose à l’oppression de tous les jours?

Refaire le visage de l’Église, comme refaire celui du système capitaliste, ne modifie que bien superficiellement sa nature! Une sorcière qui subit une chirurgie plastique pour faire disparaître ses verrues et son nez crochu n’en demeure pas moins une sorcière.42Ibid.

«Fuck this love!» dirait un Américain ou une Américaine. En effet, fuck this love! Et vive la pauvre petite liberté humaine!

«Masturbez-vous, Seigneur, et soyez à nouveau crucifié si cela vous passionne tant! Mais, de grâce, foutez le camp au plus tôt!» C’était le thème de mes oraisons.43Ibid., 289.

Il est mauditement temps qu’on Prenne nos responsabilités et qu’on arrête de faire nos révolutions dans les tavernes pour les faire dans nos usine. J’ai hâte qu’un jour, au parc Lafontaine, un gars de chez nous, un débardeur, tiens… ou un bûcheron, oui un bûcheron, un gars solide, se place devant nous autres, des milliers de travailleurs rassemblés là et qu’il entonne la Marseillaise ou le Chant des Partisans, parce qu’icitte on n’a pas encore de chants comme ceux-là, et puis que ce bûcheron-là nous crie: “Aux armes, Québécois!” Et que tous ensemble, comme un seul homme, nous répétions: “Aux armes, Québécois!” Et qu’alors nous sortions. nos fusils et nos grenades et décidions d’en finir avec… Mais ce beau jour-là, c’est pas pour demain. Il va falloir réveiller les gars. Si on peut se débarrasser des bédeaux et des lécheux de culs, ça va aider. Ces idiots-là sont plus nuisibles que les patrons.44Ibid., 126.

N’attendons pas d’un messie de solution magique à nos problèmes. Réfléchissons, aiguisons nos outils, retroussons nos manches et tous ensemble au travail! La révolution, c’est notre affaire, à nous les nègres. N’attendons ni du Pape ni du président des Etats-Unis un mot d’ordre révolutionnaire pour nous mettre en marche.

Ce mot d’ordre ne peut venir que de nous, les nègres: blancs, rouges, noirs, jaunes… les crottés de la Terre!45Ibid., 440.

Plus vite les nègres que nous sommes s’armeront de courage et de fusils, plus vite notre libération de l’esclavage fera de nous des hommes égaux et fraternels. Utopie?

C’est parce que je ne puis supporter d’être un nègre que j’ai adhéré au FLQ; que j’y demeurerai jusqu’à la victoire des nègres blancs du Québec sur le capitalisme et l’impérialisme; que j’y demeurerai debout à l’intérieur ou à l’exterieur des prisons de l’ordre établi; que j’y témoignerai, par tous les moyens possibles, de notre volonté à tous de nous libérer de notre condition de nègres.

J’ai suffisamment confiance en vous, en nous pour ne pas avoir peur de l’avenir. La révolution québécoise ne s’arrêtera pas…
[…]

Nous ne sommes pas seuls à nous battre. Notre lutte fait partie de la longue marche des hommes et des femmes vers la liberté de l’exploitation des uns par les autres…
[…]

Hé! Georges, qu’est-ce que tu attends pour te décider? Et vous autres: Arthur, Louis, Gilles, Ernest? Debout, les gars, et tous ensemble: au travail! On prendra un autre verre de bière quand on aura fait plus que discuter et mettre le blâme toujours sur les autres. Chacun de nous a sa petite part de responsabilités à assumer et à transformer en action. Plus vite nous serons unis, les gars, plus vite nous vaincrons. Nous avons déjà perdu trop de temps en vaines récriminations. Il faut maintenant passer à l’action.46Ibid., 441-442.

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